A la base, Chloé sait pertinemment que les élèves n’ont aucun droit de se rendre à Marzenie Drive après les horaires donnés par le corps professoral et le directeur lui-même. Seulement, que pouvait-elle faire quand elle a appris que sa meilleure amie est restée en ces lieux, que d’y retourner pour la ramener à l’école ? On ne sait pas ce qui pourrait se passer dans la nuit prochaine. D’ailleurs, le ciel s’assombrit déjà quand elle franchit le seuil du portail de l’école pour se rendre à quelques kilomètres de là, à Marzenie Drive. Il doit être vingt-deux heures. L’heure pour les ivrognes d’aller chercher leurs tonneaux de bières ou de rhum. L’heure à laquelle sa propre mère sortait et la laissait seule dans l’appartement avec des raviolis froids. Chloé ne connait encore que très peu le monde magique. Ce qu’elle connait en revanche, c’est la nature humaine. Elle sait que les ivrognes existent du côté sorciers comme du côté moldus, c’est indéniable. Personne ne peut rien faire contre eux, pas même une gamine innocente de l’âge de sa meilleure amie. Elle ignore encore pourquoi Hae Woo s’est rendue là-bas seule, ni pourquoi, mais elle ne tardera pas à le savoir. Franchissant le seuil de dix magasins, elle désespère en ne trouvant aucune trace de sa meilleure amie dans les environs. Cela dit, Chloé aurait dû y penser dès le début, mais la dernière fois qu’elles ont parlés de s’y rendre, Hae Woo suggérait de faire un tour à Trunek Spot. Ce n’était pas du goût de Chloé, et ça ne l’est toujours pas. Un frisson parcourt l’échine de la jeune fille. Et si elle s’y était rendue seule ? A cette simple idée, Chloé grinçait déjà des dents, tout en s’avançant vers l’endroit. Elle ne sait pas par quel moyen la jeune femme a réussi à y entrer. En revanche, Chloé sait à quel point elle lui en veut et va surement lui crier dessus pour son comportement irresponsable et idiot. Chloé déteste quand les gens boivent. Chloé déteste quand elle n’est pas prévenue. Chloé déteste tout court. Elle ne boit pas, elle. Elle a eu un mauvais exemple toute sa vie. Elle considère qu’elle ne fera jamais les mêmes erreurs que sa mère. Chloé en est persuadée. Chloé est déterminée. En franchissant le seuil de la taverne, elle se fait grogner dessus et envoyer bouler. Chloé ignore les ivrognes et cherche rapidement la silhouette de sa meilleure amie qu’elle trouve penchée sur le bar face à un jeune homme à peine âgé d’une vingtaine d’années comme eux. Elle draguerait un nouvel arrivant dans le Trunek Spot, Hae Woo ? Elle en serait capable ? Chloé fronce les sourcils, claque la porte d’entrée et d’un pas lent, se dirige vers sa meilleure amie.

« Tu te fous de moi, Hae Woo ? »

Sa voix raisonne dans toute la taverne, haute, forte, autoritaire. Chloé est énervée. Ses yeux se plissent et toisent tous les ivrognes qui la regardent avec « envie ». Ils la dégoutent tellement. Elle se dégoute tellement d’être resté vêtue de son uniforme pour se rendre en ces lieux. Ils sont tellement attirés par ça – des uniformes de collégiennes, de lycéennes, de simples étudiantes. C’est si… dégoutant. Elle crache sur le sol, tellement ça la répugne, et vient s’assoir sur un tabouret aux côtés de Hae Woo. Soupirant, elle commande une bière-au-beurre, sans se soucier du regard des autres, ni de celui de sa meilleure amie. Chloé n’est même pas certaine qu’elle l’ai reconnue ou entendue. Quand les gens sont ivres, ils perdent tellement leurs moyens. Ils perdent la notion du temps. Ils entendent moins. Leur vue se trouble, aussi. Chloé en connait un rayon. Elle a vécu avec ça toute sa vie – avec une loque ivre sur le sol qui était incapable de se relever sans vomir sa bile. C’était une affreuse enfance qu’elle avait vécu. Et elle se trouve là, dans d’affreuses circonstances, à détester sa meilleure amie pour se retrouver dans presque le même état que sa mère, il y a encore trois mois de cela. Chloé était heureuse de partir, de la fuir, de vivre une nouvelle vie. Elle a rencontré Hae Woo. Elle a rencontré Baek Hyun. Elle a rencontré tellement en ces lieux. Chloé se sent pratiquement revivre. Chloé se sent comme une autre personne à présent. Un soupir s’échappe d’entre ses lèvres et elle avale une gorgée de sa choppe.

« Tu m’expliques ? On t’a attendu dans le hall, mais t’es pas venue. J’comprends pourquoi. M’enfin qu’est-ce que tu fous ici ? Tu t’es faites larguée et tu me préviens pas ? »

Elle se tourne vers elle. Elle pose sa main sur la chevelure de Hae Woo. Longue chevelure blonde. Magnifique chevelure blonde. Un sourire immense se dessine sur les lèvres de Chloé. Un sourire sincère – sourire de grande sœur, là pour elle. Elle déteste voir Hae Woo dans cet état. Si quelque chose lui arrivait, elle s’en voudrait toute sa vie. Chloé se mord la lèvre. Elle ne sait pas par où commencer. Elle ne sait pas ce qu’il se passe dans la tête de Hae Woo et ça l’a trouble. Un soupir glisse d’entre ses lèvres. Petit soupir. Léger soupir. Elle avale une deuxième gorgée, puis une troisième, mais non, elle n’ira pas plus loin – elle est juste assoiffée.

« Qu’est-ce qu’il se passe, sérieux ? »

Joli tableau. Une gamine avec un verre à la main. Une autre qui tapote son dos en soupirant. La gamine qui boit ne semble pas se soucier de ce que son amie lui dit. Elle continue d’avaler l’alcool pur que le barman lui donne. Sais-il qu’elle aurait pu être une mineure ? Il s’en fiche, tant qu’il fait des affaires, qu’est-ce que cela peut lui faire d’avoir une gamine ivre dans son bar ? L’autre fille. Une brune. Ses cheveux sont d’une longueur étrange. Elle a un regard noir, froid, distant. En fait, les ivrognes qui sont derrières elles, se demandent si elle lui fait la morale ou si elle l’encourage à continuer à augmenter son taux d’alcoolémie déjà à priori très élevée. La gamine sourit brièvement. Est-elle contente de l’état de son amie ? Chloé déteste que l’on essaye d’étudier la scène qui se passe sous les yeux de quelqu’un. C’est comme si elle accusait un garçon d’avoir pris de la drogue juste parce qu’elle l’a vu faire, alors qu’elle ne peut rien dire. Chloé n’est pas quelqu’un qui prend pitié pour les gens. Elle n’est pas non plus une gamine qui rapporte tout à son prochain. Quand elle voit, quand elle observe la scène et l’analyse, Chloé se tait. Elle reste pétrifiée sur place et attends, le regard dans le vide. Quand Maman Lee a eu pour réflexe de tendre une bouteille au-dessus d’elle pour la plonger vers la tête de sa fille, qu’est-ce qu’elle aurait pu faire d’autre que d’analyser la situation et esquiver le geste, tout simplement ? Certes, elle se fut énervée par la suite – davantage que quand elle avait décidée de brandir la bouteille vide sur sa fille, mais Chloé savait une chose, ce jour-là ; elle est capable de se sauver la peau, quoi qu’il arrive. Alors assise sur sa chaise, elle n’inspecte pas les lieux, elle n’observe personne, car la seule personne sur qui son attention retombe n’est juste que Jung Hae Woo. Sa meilleure amie. Elles se connaissent depuis assez de temps pour que Chloé puisse éprouver du mépris à la voir dans cet état. Elle sait pertinemment que cela exaspère Chloé. Elle sait aussi à quel point ses souvenirs refont surface, si la situation le lui oblige. C’est souvent, cependant, que Chloé se rappelle de ce qu’elle a endurée toutes ses années. Son frère, il est le seul capable de savoir sa douleur. Ses amis, eux, n’imaginent pas. Ils ignorent tous des circonstances, des gestes qu’elle a eues envers sa mère, des paroles qu’elle lui a craché au visage. C’est un secret. Son secret. A vrai dire, même Hae Woo n’est pas en mesure de dire réellement ce que sa meilleure amie ressent quand elle entend parler de parents, de mères, d’enfants, de vacances, de soirées, d’alcool, de bêtises. Un soupir s’échappe d’entre les lèvres de la jeune femme. Elle observe Hae Woo avec attention. Celle-ci est presque avachie sur le comptoir. Son doigt est toujours pointé vers elle. Chloé s’empare de sa main et la tire vers elle avec force, histoire de la réveiller un peu. Si Hae Woo ne finissait pas avec un coma éthylique, Chloé aurait de la chance pour la ramener à l’école en vie, et à pied sous la pluie battante qui vient s’écraser sur les carreaux crasseux du pub. Et si elles restent ici ce soir ? Chloé n’a pas envie d’envisager cette possibilité. Elle espère juste que la pluie se calmera et qu’une calèche sera assez apte à prendre la route vers l’école pour leur éviter d’être encrasser par la boue qui s’accumule sur les routes de terre qui relient l’école et le village. Elle passe sa main dans la chevelure de Hae Woo. Sa longue chevelure retombe sur ses épaules et dans son dos. De longs cheveux d’une blondeur magnifique, que Chloé admire avec tant d’insistance depuis que leur amitié s’est formée. Elle réclame d’un claquement de doigt, un verre d’eau et une citronnade. Le barman la regarde étrangement alors qu’elle n’a pas fini son verre d’alcool. Hae Woo non plus, d’ailleurs. Elle lève les yeux au ciel. Est-elle obligée de faire ça pour réussir à avoir deux fichus verres sans une goutte d’alcool ? Chloé se lève doucement, avalant son propre verre. Elle attrape celui de Hae Woo qui est encore à moitié plein et le pose sur une table derrière elle où une jeune femme et un homme d’une trentaine d’années sont en « rendez-vous » galant, semblerait-il. Elle s’excuse d’un geste.

« Cadeau de la maison. »

Un petit clin d’œil à l’homme et elle vient se rassoir aux côtés de sa meilleure amie, pendant que le vieil homme finisse par lui verse deux verres d’eau face à elles. Elle se tourne doucement vers elle et sourit. Il est vrai qu’user de la manière forte n’est surement pas la meilleure solution pour obtenir ce qu’elle désire. Cependant, Hae Woo semble réellement dans un état pitoyable et Chloé est déterminée à comprendre pourquoi et à cause de qui. Qui que ce soit, où qu’il soit, Chloé lui fera la peau dans deux ou trois jours. Elle déteste que l’on blesse ses amies – son unique amie. Hae Woo est un être cher à ses yeux, et ça, personne ne l’a réellement remarqué. Chloé semble froide, distante, exécrable avec les gens qu’elle « aime », mais il s’avère que derrière cette façade, un sourire s’illumine, un cœur bat.

« Hae Woo ? Dis-moi. Maintenant. Ou ce verre il va se retrouver dans ta figure. »